Tyrannie de la majorité : mythe ou réalité ?

Le risque de « tyrannie de la majorité » ressort fréquemment dans les discussions sur les risques et bénéfices du référendum d’initiative citoyenne. D’après notre expérience à Espoir RIC, il s’agit d’ailleurs d’un risque plus généralement associé à la démocratie directe, et encore plus généralement à la démocratie. Voici pourquoi nous avons décidé d’y consacrer un billet spécifique.

Est-il justifié de craindre de se faire un jour tyranniser par une majorité de concitoyens ? Est-il fondé d’avoir très peur de cette possibilité ?

Dans cet article, nous explorons les éléments centraux pour que chacun puisse avancer sur ces questions. Bonne lecture !

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Que comprendre par « tyrannie de la majorité ? »

Quand on se penche un peu plus sur le sujet, on se rend vite compte qu’il y a deux manières différentes de concevoir la tyrannie de la majorité.

Les 2 types de tyrannie de la majorité

Dans un groupe, voter une décision à la majorité signifie que la décision s’impose à tout le groupe si la majorité y est favorable. Imaginons maintenant que vous fassiez partie de la minorité défavorable à la décision. Vous pourrez alors déclarer être victime de la tyrannie de la majorité de votre groupe. C’est une première façon de comprendre le concept.

Il existe une deuxième façon un peu plus spécifique de comprendre l’expression « tyrannie de la majorité ».

Imaginez un collectif dont vous faites partie et dans lequel tout le monde porte des chaussures à lacets sauf vous. De votre côté, vous portez tout le temps des chaussures à scratch. Au sein de votre collectif, vous êtes donc l’unique représentant de la minorité « porteurs de chaussures à scratch ».

Imaginez maintenant que votre groupe vote à la majorité une décision arbitraire du type « Double de corvées pour tous les porteurs de chaussures à scratch. » Cette décision injuste s’impose alors à vous, malheureux porteur de chaussures à scratch que vous êtes ! Autrement dit, la majorité de votre collectif se trouve contraindre injustement une de ses minorités, vous-même. On peut dire alors que cette majorité tyrannise une minorité.

Il y a donc deux façons de comprendre le concept de tyrannie de la majorité selon que l’on définisse la minorité comme :

  1. l’ensemble des membres du groupe se trouvant en minorité lors d’un vote à la majorité ;
  2. un ensemble minoritaire d’individus dans le groupe au regard du caractéristique particulière. Dans notre exemple, être porteur de chaussures à scratch.

Tyrannie de la majorité et débats sur la démocratie

Dans les discussions auxquelles nous sommes confrontées quant il est question de démocratie directe, c’est implicitement cette deuxième définition qui prévaut. La caractéristique particulière en question peut alors être :

  • une couleur de peau ;
  • une origine ethnique ;
  • une appartenance religieuse ;
  • une orientation sexuelle ;
  • une appartenance politique ;
  • un handicap ;
  • être locuteur de telle ou telle langue ;
  • Etc.

Dans la suite de cet article, c’est uniquement de ce type de tyrannie de la majorité dont nous traitons : quand une majorité tyrannise une minorité définie au regard d’une caractéristique particulière.

La tyrannie de la majorité selon Tocqueville

Alexis de Tocqueville est (entre autre) un sociologue et philosophe français du XIXe siècle. Célèbre pour son analyse du régime politique de l’Amérique de son temps, il publie en 1835 et 1840 deux ouvrages intitulés De la démocratie en Amérique. Il y traite spécifiquement du cas de la tyrannie de la majorité (qu’il appelle aussi « despotisme de la majorité »).

Citation de Tocqueville sur la tyrannie de la majorité

Sans nous épancher sur la pensée de cet auteur, il nous semble intéressant d’examiner un minimum sa position sur notre sujet d’intérêt. Le travail d’Alexis de Tocqueville fait en effet souvent l’objet de sujets dans différents baccalauréats français. À ce titre, nous avons sélectionné la citation suivante :

Et ce qui me répugne le plus en Amérique, ce n’est pas l’extrême liberté qui y règne, c’est le peu de garantie qu’on y trouve contre la tyrannie. Lorsqu’un homme ou un parti souffre d’une injustice aux États-Unis, à qui voulez-vous qu’il s’adresse ? À l’opinion publique ? c’est elle qui forme la majorité ; au corps législatif ? il représente la majorité et lui obéit aveuglément ; au pouvoir exécutif ? il est nommé par la majorité et lui sert d’instrument passif ; à la force publique ? la force publique n’est autre chose que la majorité sous les armes ; au jury ? le jury, c’est la majorité revêtue du droit de prononcer des arrêts : les juges eux-mêmes, dans certains États, sont élus par la majorité. Quelque inique ou déraisonnable que soit la mesure qui vous frappe, il faut donc vous y soumettre.

Le manque de clarté de Tocqueville

Cet extrait est directement tiré de la rubrique « Tyrannie de la majorité » de son ouvrage De la démocratie en Amérique. Il est donc clair que c’est bien de notre sujet dont il est question. Pourtant, il n’est pas évident de déterminer ici de quelle forme de tyrannie de la majorité parle Tocqueville exactement.

Et malheureusement, ce manque de clarté nous semble toucher l’ensemble du propos de Tocqueville. C’est pourquoi nous n’avons pas trouvé meilleure citation. On reste donc un peu sur notre faim ! (À ce sujet, l’ensemble des citations de Tocqueville dans l’article de Wikipédia ne nous paraît pas plus éclairant.)

💫 Heureusement, nous pouvons facilement nous passer de Tocqueville pour examiner maintenant un point crucial : la tyrannie de la majorité existe-t-elle vraiment dans les faits ?

La tyrannie de la majorité dans les faits

Aucun système politique n’est parfait. Tout régime politique comporte des avantages et des inconvénients. Pour cette raison, pointer les forces et les faiblesses d’un type de démocratie n’est intéressant qu’en comparaison à un autre. En pratique, cette vérité s’avère capitale à rappeler car elle nous semble souvent oubliée.

Au sujet du risque de tyrannie de la majorité, que se passe-t-il quand on compare les pays les plus démocratiques à ceux qui le sont le moins ? (La France étant une démocratie défaillante sur certains points.)

Une petite anecdote sur la Suisse VS la France

Commençons par une petite anecdote. En 2008, l’Europe entière a déployé une abondance de critiques contre une votation Suisse interdisant la construction de minarets. Les minarets sont des petites tours construites au sommet des mosquée. Interdire leur construction, c’est donc directement restreindre les libertés de la minorité musulmane Suisse. Cette votation était l’expression directe de la volonté d’une majorité de citoyens Suisses (57 %). Nous sommes donc là face à une mise en œuvre manifeste de la tyrannie de la majorité. La Suisse, de part ses institutions et son système de votation (équivalente à un RIC), est une démocratie directe. Faut-il alors rejeter ce régime politique à cause de ce genre d’anecdote ? Pas si vite… En France, régime représentatif où les élus font la loi :

  • le port du voile a été interdit à l’école en 2004 ;
  • le port du voile intégral à été interdit dans l’espace public en 2010.

Nous avons donc là deux restrictions directes des liberté de la minorité musulmane Française.

Le droit des minorités selon le degré de démocratie du pays

Qu’en est-il au-delà de cette simple anecdote ?

Il n’existe aucune preuve que les minorités soient plus à risque d’être tyrannisées par la majorité dans les pays les plus démocratiques.

Par « pays les plus démocratiques », nous entendons des pays dans lesquels les citoyens peuvent élaborer directement les lois, en parallèle des élus. Qui plus est, il se pourrait bien que dans ces pays-là, les droits des minorités soient même plus respectés. À ce sujet, le cas des minorités linguistiques est un excellent exemple (à ce propos, consulter la rubrique « Les droits des minorités » du livre RIC de Clara Egger et Raul Magni-Berton).

Par ailleurs, il est un fait législatif qui indique indiscutablement un bien plus grand respect des minorités dans les démocraties réelles : l’existence d’un droit d’initiative citoyenne. Le droit d’initiative citoyenne fait parti intégrante du dispositif appelé référendum d’initiative citoyenne. Ce droit d’initiative permet à tout citoyen, sous réserve d’avoir réuni un nombre suffisant de signatures, de proposer une loi. Quand ce droit est intégré à un référendum d’initiative citoyenne, toute la population est tenue de se positionner sur la proposition (ne serait-ce qu’en s’abstenant de voter). Par ce mécanisme, toute minorité est en mesure de mettre ses préoccupations à l’ordre du jour de l’agenda politique.

📕 Pour aller plus loin 📕

Clara Egger et Raul Magni Berton, Le référendum d’initiative citoyenne expliqué à tous (livre RIC), 2019

Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, 1835 & 1839 (deux tomes).

Notre article « Peine de mort & démocratie : quels sont les risques ? » qui traite de la crainte qu’un excès de démocratie puisse ramener la peine de mort en France.

Notre article « Démocratie : définition ».

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